LIBYE : Le dérangeant rapport d’un ancien du contre espionnage français

Publié le par La Rédaction

Couv_Rapport_CiretAVT.jpgC’est un document unique en son genre réalisé par des experts renommés. Le rapport du Centre international de recherche et d’études sur le terrorisme et d’aide aux victimes du terrorisme (CIRET-AVT) et du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), a été publié fin mai avec le soutien du Forum pour la paix en Méditerranée.

C’est une délégation internationale d’experts qui s’est rendue à Tripoli à Benghazi du 31 mars au 25 avril pour « évaluer la situation libyenne en toute indépendance et neutralité » et rencontrer les représentants des deux parties. La délégation était composée de Sayda BenHabylès, ancienne ministre algérienne et lauréate du Prix des Nations Unies pour la société civile, Roumiana Ougartchinska une journaliste d’investigation franco-bulgare, le Préfet Yves Bonnet (France), préfet honoraire, ancien député, ancien directeur de la Surveillance du territoire (DST), président du CIRET-AVT,  Dirk Borgers,  expert belge indépendant, Eric Denécé, directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) et André Le Meignen, expert français indépendant, vice-président du CIRET-AVT.

La mission s’est attachée, dans son expertise approfondie dans l'analyse et le décryptage des situations de crise et de la désinformation à rester particulièrement « vigilante aux risques de manipulation de la part de ses interlocuteurs dans un conflit plus médiatique que proprement militaire », peut-on lire dans le rapport qui en une quarantaine de pages fait le pont sur le régime libyen dont il n’est « nul besoin d’insister sur la nature hautement critiquable de la dictature imposée, depuis 1969, par Muammar Kadhafi » mais qui a réussi à donner à son pays une situation socio-économique qui le classe au « 53ème rang mondial pour l'indice de développement humain - devant la Russie, le Brésil, l'Ukraine et Venezuela. » La Libye, écrit le rapport « est considérée comme le pays le plus développé en Afrique avec un niveau de vie convenable au regard des critères internationaux », un pays où le chômage est méconnu contraire à la Tunisie et à l’Egypte où les révolutions ont éclaté du fait d’une situation socio-économique catastrophique particulièrement pour la jeunesse.

On apprend dans le rapport qu’en 2009, le renseignement libyen et la CIA, dans le cadre d’un accord négocié par Moussa Koussa, mettent en place un programme commun de lutte contre le terrorisme. L’agence américaine forme alors des professionnels du renseignement libyen. « Ces mesures concrètes de coopération ne sont habituellement engagées qu’avec des services entre lesquels se manifeste une totale confiance » soulignent les auteurs qui ajoutent : « mieux encore, les services libyens acceptent, à la demande des Britanniques du MI-5 et du MI-6, d’infiltrer des agents dans les milieux islamistes londoniens, ce qui scelle la réconciliation. »

Autre point important à souligner, le projet d’établissement d’une constitution, rompant radicalement avec les préceptes du Livre vert, qui était en préparation, rédigé avec l’aide d’éminentes personnalités étrangères, membres de la fondation Khadafi : les professeurs Joseph Nye (Etats-Unis), Francis Fukuyama (Etats-Unis), Benjamin Barber (Etats-Unis) et Tony Giddens, (Royaume uni). Pour les uateurs, « le régime, malgré son lourd passif, est en pleine évolution. » Kadhafi s’apprêterait même à annoncer de nouvelles réformes quand la « révolution » vient tout interrompre ». Plus important encore, « une campagne de communication avait été confiée, entre 2006 et 2008, au Monitor Group, une société américaine, pour faire connaître la volonté d’évolution du régime », confie M. Bonnet

Alors, comment dans de telles situations faut-il analyser l’éclatement d’une révolution ? Pour Yves Bonnet les causes de la révolution, bien qu’étant inséparables du contexte régional (à savoir « le printemps arabe » avec des populations qui réclament plus de libertés), la situation spécifique à la Libye, et plus particulièrement à sa partie orientale rebelle et connaissant un trafic maffieux, les « ingérences extérieures » sont très notoires. En témoigne pour cela les indiscrétions de membres du CNT qui parlent de reconnaître Israël alors qu’en Libye Kadhafi est accusé d’être d’origine juive. Pour Yves Bonnet cette position est « suscitée et fortement demandée par les puissances occidentales ». L’ancien responsable de la Direction de la surveillance du territoire (DST) service de contre-espionnage français de 1982 à 1985, « la position du président de la république française est assez étonnante. Pour celui qui se présente volontiers comme « un vieux serviteur de l’état » (ancien préfet dans plusieurs départements, plusieurs fois élu député) «  il est plus qu’étonnant de voir des relations diplomatiques rompre et se reformer après une simple réunion avec des gens dont on ne sait même pas qui ils représentent. »

On notera, selon le rapport,  que le CNT - établi à Benghazi, en Cyrénaïque dans l’est du pays - est composé de divers membres dont des transfuges bien sûr du régime, des islamistes et même des maffieux. « Benghazi est connu comme un foyer d’extrémisme religieux. L’intégrisme y est beaucoup plus marqué que dans l’ouest du pays : les femmes, intégralement voilées, ne conduisent pas et leur vie sociale est réduite au minimum. Au sein de la population dominent les hommes barbus » lit-on dans le rapport qui souligne que la ville était devenue l’épicentre de la migration africaine vers l’Europe. « Ce trafic humain s’est transformé en une véritable industrie, brassant des milliards de dollars. Un monde parallèle mafieux s’est développé dans la ville où le trafic est profondément implanté […] Avec la disparition de son fonds de commerce et l’arrestation de nombre de ses chefs, la mafia locale a été en pointe dans le financement et le soutien à la rébellion libyenne. »

« Le CNT est une coalition hétérogène de différents groupes et intérêts. Il comprend à la fois des opposants de longue date au régime et des personnes qui ont fait défection récemment : jeunes civils et cadres de l’armée ralliés. Une partie de ses représentants dissimulent leur identité pour des raisons discutables et ses principaux dirigeants sont des personnes au passé plus que chargé. En l’état actuel des choses, il n’offre aucune garantie d'orientation démocratique réelle » puis que les individus qui sont mis en avant - principalement des avocats, des professeurs, des universitaires - sont en réalité peu représentatifs. « Il s’agit d’abord de ceux qui parlent le mieux anglais et savent dialoguer avec les Occidentaux et les médias. »

Des médias, il est beaucoup question. « La couverture des événements de Libye par les chaînes satellitaires arabes appelle quelques observations critiques. A titre d’exemple, l’information reprise par les médias occidentaux selon laquelle l’aviation du régime aurait bombardé Tripoli est parfaitement inexacte : aucune bombe libyenne n’est tombée sur la capitale, même si des affrontements sanglants semblent avoir eu lieu dans certains quartiers » tiennent à souligner les enquêteurs. Selon eux, la même erreur est délibérément commise quand les médias arabes et occidentaux affirment que le régime a tiré sur sa propre population. La mission s’est rendue sur place et n’a rien constaté de tel. Pourtant, la chaîne Al-Jazira est présente à Tripoli. Ses reporters, souvent occidentaux, travaillent sans obstruction de la part du régime.

« La conséquence de cette désinformation est claire : la résolution de l’ONU a été votée à partir des informations de cette presse et sans qu’aucune commission d’enquête préalable ne se soit rendue sur place. Il n’est pas exagéré de dire qu’Al-Jazira a créé l’évènement et influencé l’ONU » affirment les enquêteurs qui tirent les enseignements suivants : La « révolution » libyenne n'est donc pas une révolte pacifique. Le mouvement n’est pas né dans la capitale et n’a pas de racines socio-économiques. Son épicentre se situe dans l’Est du pays, en Cyrénaïque, région traditionnellement opposée au pouvoir central. Et le mouvement a rapidement évolué vers la lutte armée.

Conséquence : Plus de 5 millions de personnes, principalement des étrangers ont fui le pays. Une situation qui pèsera directement sur la sécurité de l’Europe avec un risque réel de voir le nombre des candidats à l’immigration clandestine augmenter considérablement. Une autre conséquence est que le départ de ces travailleurs étrangers, qui assuraient de nombreuses fonctions économiques dans le pays, met celui-ci en quasi état « d’hibernation ». Les chantiers, mais aussi les hôtels, les restaurants, les commerces, les stations-services ne fonctionnent plus, faute de personnel.

Le rapport s’inquiète des conséquences plus lourdes encore pour les pays africains. « Force est de constater le caractère raciste de l'insurrection libyenne » notent-ils en soulignant que tous les noirs présents en Libye orientale sont traités comme des mercenaires au service de Kadhafi et le fort ressentiment qu’affichent les insurgés à l’égard des pays d’Afrique subsaharienne. « Dès que l’Etat nouveau sera créé, il durcira, selon plusieurs membres du CNT, sa politique contre les Africains coupables d’avoir aidé Kadhafi. » Ce ressentiment, on le sait est nourri par l’attitude de l’Union africaine (UA) qui, le 10 mars, a proposé une feuille de route à Tripoli, dont les insurgés n’ont pas voulu en entendre parler.

Publié dans Afrique

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