Mali : Feu Le Président, feu le Docteur, ses fils et le vieil Enseignant
Nous publions in extenso le texte lu par Amadou Djikoroni devant le Tribunal de première instance de la commune III du district de Bamako. Ancien compagnon du Premier Président de la République du Mali, Modibo Keita, mort en détention, Amadou Djikoroni comparaissait, le 11 janvier, pour diffamation sur la personne de feu Dr Faran Samaké dont les enfants avaient déposé une plainte suite à ses déclarations mettant en cause la responsabilité de leur père.
Monsieur le Président, j'étais dans le cercle de Bougouni le Directeur de l'école de Garalo de 1950 à 1954. J'ai donc connu Feu Faran Samaké enfant, des dizaines d'années avant la naissance de ces enfants-là qui m'assignent aujourd'hui devant vous. M'assigner devant vous au motif infâmant de diffamation de la mémoire d'un défunt ! Je ne suis ni juriste, ni magistrat mais un Bambara de 82 ans, enseignant par vocation, militant politique d'action et de conviction. C'est une injure grave au regard de mon âge, de mon parcours professionnel et politique. C'est une injure grave, au regard de mon statut dans la société et surtout au regard des valeurs sociétales du Mali. Injure parce que, dans la culture africaine et malienne en général, Bambara en particulier, l'âge qui confère le statut de l'ancien, du patriarche, privilèges et responsabilités, grandeur et servitudes dont je mesure le poids, fonde les relations avec les générations. Injure parce que le maître d'école que j'ai été de 1949 à 1986 et qui, toute sa vie durant, a enseigné à beaucoup de générations de jeunes filles et de garçons, la morale, les vertus auxquelles je me suis toujours efforcé de m'identifier et qui, au soir de sa vie, se voit sur le banc de l'infamie avec au centre la mémoire de Feu Faran Samaké. Injure parce que le militant que je reste, formé à une école adepte du combat à visage découvert contre tout adversaire - Feu Faran n'en est pas un - comble de malheur est accusé de profiter de la chose la plus épouvantable sur terre, la MORT, pour souiller une mémoire. Monsieur le Président ; je n'accepte pas l'injure. Mon cœur saigne Monsieur le Président et comme Don Diègue du "Cid " de Corneille, je m'indigne et clame : Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie ! N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ! …….etc. Non, Monsieur le président, je ne mérite pas un si cruel traitement. En plus des nombreux Rodrigue, soldats d'honneur présents dans cette salle et partout au Mali, je me défendrai. Comment donc se fait-il qu'on puisse imaginer un seul instant que le maître d'école que j'ai été, s'abaisse à diffamer son ancien élève, et qui, de surcroît, n'est plus de ce monde ? C'est une injure grave, Monsieur le Président, à l'adresse de ma personne et à l'adresse de ma fonction car, c'est nous les enseignants de cette époque, qui avons permis à l'enfant de Faraguaran d'émerger pour devenir le Docteur que l'on connaît. C'est une injure grave à l'adresse du militant anticolonialiste que j'ai été, puisque je n'ai été muté à Bougouni en 1950 que pour me placer dans un cercle où la majorité de la population était opposée au RDA dont j'étais un jeune cadre à l'époque. Dans toute la circonscription qui englobait les actuels cercles de Yanfolila, Bougouni et Kolondiéba, je n'ai trouvé que 8 membres du RDA. Monsieur le Président, c'est par notre combat politique que nous avons sauté les verrous qui empêchaient les enfants Soudanais de se présenter aux examens académiques (Brevet élémentaire, baccalauréat, licences, doctorat, etc.) pour ouvrir largement le chemin de l'instruction à nos compatriotes. Pendant toute la période coloniale et jusqu'en 1946 les indigènes Soudanais que nous étions ne pouvaient accéder qu'au CEP, les autres examens ne permettaient d'acquérir que des diplômes dits "baroques" (diplôme d'EPS, diplômes d'écoles normales Katibougou, Dabou, Ponty, diplômes de médecins, de sages- femmes, de vétérinaires et de pharmaciens "africains"). Des diplômes qui n'étaient pas reconnus en France. M'accuser de diffamation, c'est donc une injure à mon éthique politique et personnelle ainsi qu'à mon sacerdoce professionnel. Mais aussi c'est une injure au responsable politique de la Première République que je fus et dont je suis fier. Je n'étais pas seulement un adhérent mais un cadre politiquement conscient et un formateur. En effet j'étais professeur dans les écoles du parti, dans les écoles syndicales et dans les écoles de la jeunesse pour enseigner les principes moraux et sociaux, les valeurs culturelles et sociétales qui expliquent les choix de l'USRDA et fondent la Nation malienne. Cet enseignement était sain, clair et scientifiquement élaboré. Nous, nous ne salissons pas, nous ne détruisons pas, nous n'insultons pas, nous ne diffamons pas. Car quand on est porteur de nos valeurs, on est nécessairement au-dessus de tous les comportements dégradants. C'est donc une injure grave de m'accuser de diffamation. II - LES FAITS Ceci dit de quoi s'agit-il? Monsieur le Président, dans ce dossier, il est question principalement de la mort du Premier Président de la République du Mali. C'est pourquoi ce dossier intéresse tout le monde au Mali et ailleurs. Il n'est que de voir l'importance de la foule ici présente dans la salle, autour de la salle, dans la cour et dans les rues adjacentes. Tout le monde veut savoir comment est mort le Président Modibo Kéita. Tout le monde veut savoir qui en est la cause. Et Pourquoi. Les deux enfants de Feu Faran Samaké, en prenant la responsabilité d'ouvrir ce procès, ont provoqué la mobilisation générale, attisé l'attention de tous et créé l'espoir qu'enfin la vérité éclatera. Monsieur le Président, c'est à vous que revient l'honneur de combler l'attente du peuple Malien. C'est aussi cela l'enjeu de ce procès. Monsieur le Président, disons-le haut et fort, il s'agit d'un procès éminemment politique, d'une tentative de règlement de comptes par des mains invisibles contre quelqu'un qui dérange, qui se bat contre la falsification de l'histoire récente de notre pays, qui témoigne, qui assume de façon responsable, son devoir de génération. Gloire à Dieu qui m'a conféré santé et maîtrise pour agir jusqu'à ce jour ! Procès politique, parce qu'il s'agit du père de la nation malienne, du Secrétaire général de l'US RDA, du président Modibo Keita, de sa vie- ô combien si bien remplie - et aussi de son assassinat par des mains traîtresses. Monsieur le Président, il s'agit de celui dont les Maliens sont si fiers et auquel je reste fidèle à vie, parce que nourri à la même mamelle idéale d'honneur, de dignité et de patriotisme ; de celui dont le nom est objet d'évocation élogieuse quotidienne dans notre pays et ailleurs. Quoi de plus normal, qu'à l'occasion du cinquantenaire de notre indépendance et de notre souveraineté vraies de l'époque, œuvre de son parti à la tête du peuple combattant de notre pays, quoi de plus normal que Nara et Guiré (village d'origine de la famille de Feu le Président Modibo Kéita), la terre de ses glorieux aïeux, organisent à l'instar de tout le Mali reconnaissant, des manifestations commémoratives pour magnifier l'enfant prodige du terroir, au destin exceptionnel ? Quoi de plus normal qu'en cette occasion, Amadou Seydou Traoré soit invité par deux Associations de la Société civile (AMEMOK et Groupe Zeyna) pour animer une Conférence sur la vie du Président Modibo Kéita, sous la présidence de Madame le ministre de la Promotion de la femme, de l'enfant et de la famille, elle aussi originaire de Nara ? Je suis un acteur et un témoin privilégié de la vie politique de notre pays de 1946 à ce matin ! Mes nombreuses publications en font foi : - Défense et illustration de l'action de l'USRDA *Le salaire des libérateurs du Mali -*Modibo Kéita, une référence, un symbole, un patrimoine *La Guinée le Mali : deux poumons d'un même corps *L'Ecole malienne, hier et aujourd'hui *Du CMLN à l'UDPM : 23 ans de mensonges ! *La mort de Fily Dabo et de ses compagnons…etc. Tout le monde sait que j'ai beaucoup écrit, animé de nombreuses conférences publiques, des émissions radiophoniques et télévisées, publié de nombreux articles dans la presse tant nationale qu'étrangère. Et c'est de notoriété publique qu'à l'occasion de toutes ces activités, je demande aux lecteurs, aux auditeurs et à toute personne intéressée, d'apporter des amendements à mes formulations, de me contredire avec preuves à l'appui, ou même de répliquer par la parole ou par l'écrit. A ma connaissance et jusqu'à ce jour, personne n'a démenti mes propos avec quelque preuve que ce soit. Mieux, des institutions comme la Présidence de la République, les Archives Nationales, et d'autres s'adressent à moi pour obtenir des documents sur le Mali, son histoire, ses archives photographiques ou autres. Beaucoup de chercheurs, d'étudiants maliens et étrangers, fréquentent le Centre de documentation (La Ruche à livres) que j'ai créé chez moi à Bolibana, depuis bientôt dix ans. Je n'ai fait que résumer Monsieur le Président, qu'est-ce qui a été dit ce jour-là, là-bas, à Nara, à cette conférence publique relayée fidèlement par notre presse nationale, une des conquêtes essentielles de la glorieuse révolution du 26 mars 1991 ? Tirant matière de mes écrits, j'ai abondamment illustré la vie et le parcours politique exceptionnel du camarade Président Modibo Kéita. S'agissant de son lâche assassinat, il est intervenu quand j'étais en détention dans la grande "Université du Nord", à Kidal avec les valeureux compagnons de lutte du Président. Mais quand, après ma libération, j'ai appris le rôle qu'on a fait jouer par Faran Samaké dans la mort du Président de la République Modibo Kéita, j'ai décidé d'approfondir la recherche. Je ne pouvais que me référer à la commune conviction de tous, au Mali et ailleurs, conviction fondée sur les déclarations, témoignages, articles de presse, ouvrages dont les auteurs les plus significatifs, - Dieu merci - sont encore en vie. Ils ne peuvent pas ne pas être convoqués à la barre pour témoigner : Moussa Traoré, Youssouf Traoré, Assimi Dembélé, Soungalo Samaké, Zan Coulibaly, Sémoulu Kéita et tous ceux que j'ai cités. Parlant de la vie de n'importe quel homme, comment éviter de parler de sa naissance et de sa mort ? C'est donc tout naturellement qu'en terminant mon intervention, j'ai dit ce que tout le monde savait au Mali et partout dans le monde au sujet de la mort du Président Modibo Kéita. Je n'ai fait que résumer ce que Youssouf Traoré membre du soi-disant "comité militaire" et ami personnel de Moussa Traoré, a dit, 22 ans avant moi, dans sa mise au point contre Moussa Traoré, suite à l'interview que ce dernier avait accordée à Ibrahima Baba Kaké dans "Mémoire d'un Continent" (en voici la cassette), ce que le colonel Assimi Dembélé ex- commandant du Génie militaire a écrit 15 ans avant moi dans son livre intitulé "Transferts définitifs", ce que le capitaine Soungalo Samaké a écrit depuis 4 ans dans son livre intitulé "Ma vie de soldat" qui est porté sur la scène théâtrale par "BLONBA". Cette représentation qui a déjà circulé en France, en Belgique, au Luxembourg et qui s'apprête à aller au Canada et aux U.S.A est très explicite sur l'assassinat du Président Modibo Kéita. Le Gouvernement du Mali et notamment le Ministère de l'Education Nationale et des langues nationales ont pris des dispositions pour faire en sorte que le maximum d'élèves de Bamako voient cette pièce. Les écrits et déclarations concernant l'assassinat du Président Modibo Kéita sont là, publiés sous la protection du Bureau malien des Droits d'auteur ou en plaquettes accessibles à tous. Des journaux et des revues du Mali ou de l'étranger ont publié des articles confirmant la même version. Toutes ces personnes ont écrit et parlé de la même chose et jamais aucune réaction n'a suivi leurs déclarations. Je n'ai fait - quant à moi - que rappeler une chose connue, de notoriété publique, une chose affirmée et publiée par des officiers connus, des hommes bien placés pour savoir ce dont il s'agit, des amis de Feu Faran Samaké, de Feu Tiékoro Bagayogo et de Moussa Traoré. Pourquoi jamais aucun d'eux n'a fait l'objet d'aucune attaque alors que moi, le simple répétiteur, je suis traîné devant les tribunaux ? Pourquoi ? Amadou Seydou Traoré n'a fait que reprendre ce qui avait été dit, écrit, publié, ressassé, diffusé à grande échelle, de 1977 à 2010, pendant 33 ans sans que personne ne soit accusé de diffamation ni de feu Faran Samaké ni de ses commanditaires, par les héritiers ou un quelconque ami putatif. Qu'a donc fait Amadou Seydou Traoré pour qu'on lui intente un tel procès injurieux, inutile et aux conséquences imprévisibles car l'indignation est générale ? A la limite, dans ce procès, ne s'agit-il pas tout simplement d'un acte de provocation basé sur le mépris ? Or, dans ce jeu-là, le plus méprisable se trouve ailleurs. Ce n'est surtout pas moi, loin de là. Ou bien, s'agit-il d'une entreprise inspirée par des milieux qui, tout en souhaitant que l'on mette un cran d'arrêt aux clarifications qui dissolvent instantanément et définitivement les mensonges sur les problèmes de la nation, exploitent l'immaturité des jeunes Samaké pour les jeter dans le brasier d'un procès où on cherche en vain ce qu'il peut leur apporter d'autre que l'humiliation ? Monsieur le Président, dites à ces enfants qu'ils se sont lourdement trompés car moi, je me place au-dessus d'un acte de diffamation. Surtout concernant un de mes anciens élèves, qui plus, n'est pas de ce monde. Si encore il était vivant ! Mais trente ans après sa mort dans les conditions que l'on sait, qu'est-ce que cela m'apporte ? À quoi cela peut-il me servir ? Il faut quand même faire preuve d'un minimum de logique. Diffamer son élève après sa mort tragique peut apporter quoi de positif au maître ? L'enseignant que j'ai été de 1949 à 1986, le responsable politique que je fus pendant 53 ans, l'identité que j'incarne, ne saurait succomber à une vulgaire dérive de diffamation. C'est pourquoi je me sens insulté grossièrement et gratuitement, Monsieur le Président. Je fais donc confiance au tribunal pour rétablir les choses car nous sommes devant un cas inacceptable d'injure publique faite à une personne honorable, par des enfants qui n'ont aucunement le droit d'agir ainsi, sans conséquence. Cette atteinte grave à mon honneur, à ma dignité est flagrante et j'espère que le tribunal y répondra de la bonne manière en appliquant la sanction idoine, à la hauteur de l'outrage commis. Monsieur le Président, je voudrais faire remarquer aux enfants du docteur Feu Faran Samaké que selon moi, la question qu'ils devaient se poser n'est pas celle de savoir s'il y a diffamation ou non ; il s'agit plutôt de savoir de quel drame la mort de leur père fait partie ? Il s'agit plutôt de savoir pourquoi et comment leur père est mort ? Le docteur Feu Faran n'est pas mort de diffamation ; il s'est donné la mort et c'est cela qu'il s'agit d'éclaircir et non de succomber à un sentiment de vexation superficielle pour se fourrer la tête dans le sable à la manière de l'autruche. La chose est plus sérieuse que cela. Car il s'agit du plus grand drame du Peuple malien durant le XXème siècle passé, le drame qui a commencé le 19 novembre 1968 par un coup d'état et l'affirmation publique et solennelle de mettre à mort le Président Modibo Kéita et tous ses compagnons de détention, dont je suis. Monsieur le Président, je suis révolté devant le drame qui a emporté le Président de la 1ère République du Mali, Modibo Kéita, le drame qui a emporté le docteur Feu Faran Samaké, un de nos cadres nationaux les plus valables techniquement, le drame qui a emporté son neveu Tiékoro Bagayogo et d'autres personnes durant les 23 ans de régime personnel de Moussa Traoré qui les a tous sacrifiés pour consolider son pouvoir dans l'illusion de le conserver éternellement. Monsieur le Président, Youssouf Traoré, le responsable à la communication de Moussa Traoré a écrit ceci au sujet d'une rencontre que ce dernier a eue avec des jeunes en 1979 : " Si je me sens soutenu par la jeunesse il ne resterait plus que Moussa à la barre". Cette phrase venait de jeter rétrospectivement un éclairage nouveau sur le principe directeur de Moussa Traoré dans la conduite des affaires publiques : se débarrasser de ses collègues officiers membres du Comité Militaire de Libération Nationale par tous les moyens. La mise en œuvre de cette idée macabre commença donc par le Capitaine Yoro DIAKITE Président du premier gouvernement mis en place au lendemain des événements du I9 Novembre I968". Dans le cadre de cette politiq ue, Feu Faran Samaké, Tiékoro Bagayogo et tant d'autres n'étaient que des étapes, des instruments. La Nation doit savoir comment Moussa est parvenu momentanément à ses fins en éliminant froidement, successivement et indistinctement adversaires et amis. Les familles, y compris celle du docteur Feu Faran Samaké doivent savoir. L'Afrique doit savoir. Le monde doit savoir. C'est cela la véritable question. Je n'ai fait qu'affirmer mon intime conviction basée sur des recherches et des preuves de notoriété publique. Je ne me suis jamais occupé des convictions politiques de Feu Faran. Comment un docteur en médecine, mieux un psychiatre chevronné peut donner la mort de manière aussi flagrante sans une pression extraordinaire ? Mais il n'est pas difficile de comprendre que sous le régime qui avait cours à l'époque, lorsque vous êtes sollicité pour donner la mort, quelle que soit votre réaction, positive ou négative, vous êtes condamné à mort vous-même. Et la chaîne est continue : 1, 2, 3, 4. 1. le docteur Feu Faran donne la mort ; 2. le docteur Feu Faran se donne la mort ; 3. celui par lequel l'ordre lui parvient (Tiékoro Bagayogo) est envoyé mourir sur le sable à Taoudénit ; 4. le confident de celui-ci (Kissima Doukara qui a eu plusieurs entretiens au camp para en français et en soninké avec le président Modibo Kéita) est lui aussi envoyé mourir sur le sable à Taoudénit. Et l'un des membres très influent du "comité", Youssouf Traoré, pose à juste raison la question : "est-ce que par ce mécanisme toutes les traces sont effacées ?" Voici sa réponse : "En outre sur les circonstances de la mort du docteur Feu Faran le général Moussa Traoré ne veut rien savoir. Pourtant il est établi de façon irréfutable que Faran s'est suicidé juste la veille du procès politique de son neveu Tiécoro. De quoi avait-il peur ? En disparaissant ainsi, a-t-il définitivement emporté dans sa tombe tous les secrets sur la mort de l'ancien Président Modibo Kéita ? Par conséquent, les choses ne sont pas aussi claires comme on le prétend." (fin de citation de Youssouf Traoré). Nous devons la vie à El Hadj Zan Coulibaly Le reste est parfaitement compréhensible pour moi qui ai failli subir le même sort que le Président Modibo Kéita suite à un ordre parvenu à Kidal par l'intermédiaire du capitaine de police Atoumane Diallo, me concernant. J'ai échappé à la mort grâce à Dieu et au capitaine Zan Coulibaly qui s'est opposé à l'exécution. Cela est parfaitement compréhensible aussi pour moi qui faisais partie du groupe qui a failli être fusillé sur un ordre verbal parvenu au commandant d'armes de Kidal par l'intermédiaire du capitaine de police Bakary Diakité quelques jours après l'assassinat du Président Modibo Kéita. Je suis donc bien qualifié pour savoir comment de tels ordres sont donnés. Je l'ai vécu dans ma chair et dans mon esprit. Monsieur le Président, je suis donc un exemple vivant, un cas exceptionnel parmi ceux qui ont échappé aux conséquences des sinistres ordres d'un certain Monsieur QUI, ce monsieur qui donnait l'ordre de tuer et qui, toujours après, se présentait BLANC comme neige et demandait aux juristes Maliens de découvrir "qui a tiré, qui a donné l'ordre de tirer ". Nous devons la vie, mes camarades et moi à El Hadj Zan Coulibaly ici présent, l'ex-commandant d'armes de Kidal en 1977, lequel avec un courage extraordinaire, a refusé de nous exécuter sans ordre écrit. Merci Zan, mille fois merci pour moi, pour mes camarades que tu as sauvés, pour nos familles à qui tu as épargné le deuil, pour le Mali tout entier ! Ton mérite est immense ; ton exemple restera dans l'Histoire de l'Armée malienne comme l'un des plus mémorables actes de grandeur militaire !!! Car si d'autres avaient agi comme toi, il n'y aurait pas eu cet océan de larmes, de sueur et de sang en janvier -mars 1991, il n'y aurait pas eu les 300 morts et les 700 blessés au 26 mars 1991 ! III - LE DEVOIR Monsieur le Président, le devoir que l'histoire m'assigne n'est pas agréable, mais je suis contraint de l'assumer à cause de mon sort qui fait que je suis un des "derniers des Mohicans". C'est à l'histoire que je dois d'avoir eu la haute responsabilité d'enseigner dans les écoles élémentaires, secondaires et supérieure du Parti et de la Jeunesse USRDA, dans les Régions et dans les casernes, dans les écoles syndicales de l'UNTM, de 1960 à 1968. C'est grâce à la protection de Dieu Tout Puissant que je dois d'être sorti quasiment indemne de la détention et de la déportation de dix ans, au point que je qualifie ma vie carcérale de "cycle long dans l'Université du GRAND NORD ", tant j'y ai appris ! Autant d'éléments qui se conjuguent avec d'autres non moins importants pour imposer à ma conscience le devoir de mémoire, le devoir de vérité que j'accomplis en écrivant et en parlant. Je ne prétends ni incarner la vérité absolue, ni révéler la parole sainte. Je suis très conscient d'être un homme, rien qu'un homme et donc essentiellement imparfait. Ma mission de témoin engagé, d'acteur responsable et de membre d'une génération en voie de disparition, se limite à dire honnêtement et sincèrement ce que je sais sans ajout ni soustraction ; à livrer la documentation dont je dispose, à émettre modestement mes avis et à me préparer à recevoir, l'âme ouverte, les critiques, les amendements, les corrections, même les contestations de ceux qui en savent plus, de ceux qui formulent mieux, de ceux qui voudront bien compléter ce travail. Je n'ai aucun amour-propre d'auteur. A mon humble avis, la seule attitude qui vaille devant l'Histoire, c'est le courage devant la vérité. Il n'existe nul pays en Afrique où plus qu'au Mali, l'amour du prochain, la compassion et la culture de la tolérance et de la convivialité sont aussi solidement implantés. Taire ces événements alors que je suis un témoin privilégié ayant fait des publications sur d'autres thèmes, aurait participé de la tendance de ceux qui croient sans doute par simplisme subjectif, que le temps doit pudiquement jeter sur toutes les tragédies humaines, le manteau de Noé. Pourquoi le Tout Puissant m'aurait-il accordé une vie suffisamment longue pour être à même de transmettre les leçons dont beaucoup de mes compagnons ont payé le prix, de leur sang ou de leurs vies mêmes ? Pourquoi le Tout Puissant m'aurait-il accordé la santé et une vue parfaite jusqu'à l'âge de 82 ans pour être à même d'écrire ? A présent encore, je reste capable de travailler toute la journée et même la nuit jusqu'à l'aube ; je dois cela à qui d'autre qu'à Dieu ? Pourquoi le Tout Puissant m'aurait permis d'acquérir la maîtrise de l'outil informatique alors que de jeunes cadres Maliens l'ignorent et que ceux de ma génération ne songent même pas à s'en approcher ? Pourquoi le Tout Puissant m'aurait-il accordé la faveur de conserver intacts des documents écrits et des photographies pouvant illustrer mon propos et lui conférer la valeur de l'authenticité, si ce n'est pour les mettre à la disposition de ses vrais destinataires, c'est-à-dire les Maliens d'aujourd'hui et ceux de demain ? J'aurais pu également être comme la majorité des Maliens du troisième âge qui vivent dans la misère. Au contraire, Dieu m'a donné les moyens, non seulement de vivre décemment, mais de m'équiper d'ordinateurs et d'accessoires pouvant me faciliter l'élaboration de manuscrits. Pour moi, il n'y a qu'une seule et unique réponse à tout cela : c'est que Dieu en a décidé ainsi, répondant aux souhaits mille fois exprimés par des Maliens et des Etrangers, de voir paraître des livres sur la vie carcérale des détenus politiques déportés dans les geôles du régime militaire des années 1968-1991, des livres sur l'histoire contemporaine du Mali, etc. En écrivant ces dernières phrases, me remontent à la mémoire deux messages : 1. celui de feu David Coulibaly pendant les dernières minutes de son agonie alors que j'avais sa tête sur mes jambes et que je l'éventais doucement. Il disait : Amadou, n'abandonnez jamais ! Lâ ilâha Ilâh Allah, Mohamadou Rassoul Allah..." 2. celui du Docteur Konimba Pléah me disant dans sa chambre à Korofina, pendant la nuit précédant sa mort : "demain peut-être Moussa Traoré et ses amis entendront la nouvelle qu'ils qualifieront certainement de "bonne", c'est à dire, la mort du Dr Pléah. Pour ma part, je meurs tranquille car, tant que toi Amadou Seydou tu vis, je suis sûr que le travail se fera, le flambeau sera transmis ". Pas place pour la haine dans mon cœur. Donc le silence ou tout le moins, les petites narrations orales par bribes eurent constitué pour le Malien torturé en bagne que je fus, comme un affaissement moral, une trahison politique et un honteux manque de courage. Affaissement surtout pour l'enseignant de carrière qui aurait alors cessé de croire en la vertu des leçons serinées véridiquement et abondamment pendant "le cycle long de l'Université du Grand Nord". Affaissement enfin vis-à-vis du patrimoine culturel et politique de ce pays puisque, sans conteste, il s'incarnerait dans une forme de démission du devoir d'éducation par rapport aux générations montantes appelées à connaître chaque tronçon majeur et réel du chemin national parcouru. Ce n'est donc pas une imagination masochiste qui m'habite. C'est plutôt l'accomplissement d'un DEVOIR d'homme, de responsable politique, de patriote, de missionnaire que Dieu même a désigné, soutenu, guidé et assidûment accompagné jusqu'à l'accomplissement de SA volonté. En âme et conscience, c'est ce qui m'inspire. Je voudrais que soit perçue dans toutes leurs dimensions, l'influence catastrophique et l'héritage débilitant du pouvoir fascisant de Moussa Traoré et comparses, sur la vie du peuple Malien, un Peuple pourtant doté d'une vieille culture. Que par exemple soit compris à quel point ce pouvoir, au-delà des destructions, prédations et liquidations matérielles, est l'auteur principal du démantèlement de l'Homme Malien dans tout ce qu'il recelait de valeur morale et patriotique. La paresse, l'inconscience professionnelle, les tricheries, l'effronterie, le dévergondage, le vol, les détournements de deniers publics, les passe-droits, l'indifférence devant les souffrances du peuple, la violence gratuite dans les rapports inter - personnels, l'incivisme, l'effondrement du système éducatif, l'extinction du sentiment patriotique et tant d'autres tares sociales dont souffre le Mali d'aujourd'hui, ont été enfantées sinon aggravées en cette saison kaki. Ce fut l'hivernage, que dis-je, le déluge des mauvaises choses, le naufrage de la morale. Ainsi, plus que les personnes physiques, ce sont les leçons de cette période qui importent, ce sont elles qui peuvent servir les combattants d'aujourd'hui et de demain. Monsieur le Président j'ai écrit ceci en 2003 : " c'est en toute modestie et avec humilité que je présente d'avance mes excuses à toutes les personnes de toutes les catégories sociales qui se sentiraient égratignées par quelques uns de mes propos ou par des passages contenus dans mes ouvrages. Toute réaction, quelle qu'elle soit, sera sincèrement accueillie de ma part, avec joie et reconnaissance. Monsieur le Président, j'ai écrit ceci en 2003. Et j'ai ajouté : "…je dissuade le lecteur de croire que j'éprouve quelque forme de haine que ce soit contre qui que ce soit. Mon cœur n'en est pas capable. Je peux éprouver du mépris pour les personnes dont les actes et le comportement le justifient, mais il n'y a pas de place pour la haine dans mon cœur. Et ce sentiment est largement partagé par tous les responsables USRDA dont les préoccupations politiques ont toujours concerné plutôt le Mali, le Peuple, les idéaux moraux et la Paix sur terre parmi les hommes, les collectivités et les nations du Monde entier. A preuve le testament du Président Modibo Kéita où il dit ne pas en vouloir à personne y compris les membres du "comité militaire". Une autre preuve a été fournie par le fait que le 26 mars 1991, alors que la foule était déchaînée contre Moussa Traoré et son équipe, nous avons pris contact avec les nouvelles autorités issues de la Révolution pour recommander la vigilance autour du dictateur et des dirigeants arrêtés. Nous avons dit que nous ne voulions pas qu'ils subissent des vexations, de mauvais traitements et des sévices. Nous avons dit que nous voulions être la dernière vague d'anciens dirigeants politiques ayant subi de tels traitements. Plus jamais ça ! Nous avons demandé qu'ils soient traités selon la loi et de manière civilisée, qu'ils soient jugés dans les règles et sans aucune violation de leurs droits ; enfin que ne soient retenus contre eux que les faits prouvés de manière irréfutable. Notre conviction est que les humains que nous sommes doivent s'abstenir de franchir la limite de la réalité incontestable ; le reste relève de Dieu, le Juge Suprême. (N. B. Tout ceci a été écrit en 2003) Des traitements inhumains infligés à des femmes et des hommes Monsieur le Président, les "23 ans de mensonges" du régime de Moussa Traoré se résument pour l'essentiel à des sévices gratuits, des traitements inhumains infligés à des femmes et des hommes dont on n'ignore rien de ce qu'ils ont fait pour la libération du pays et auxquels par ailleurs on ne reproche rien. Il suffit de songer au cas du premier de ces libérateurs, le Président Modibo Kéita pour mesurer combien sont mal payés, les sacrifices consentis pour la libération nationale et les efforts déployés pour la renaissance nationale dans l'honneur et la dignité. Mais le Président Modibo Kéita et ses compagnons de détention ne sont pas les seuls à être payés de cette monnaie. Bien d'autres Maliennes et Maliens de toutes conditions, des civils et des militaires, des citadins et des campagnards parmi les plus valeureux se sont trouvés ou se trouvent encore dans des situations révoltantes, en pleine contradiction avec leurs mérites. Quel a été le sort réservé aux premiers officiers supérieurs, les vrais formateurs de l'armée et des services de sécurité, aux premiers parlementaires, aux cadres administratifs et techniques de valeur, aux communicateurs de talent, aux grands artistes qui ont créé les premières structures comme l'Ensemble Instrumental National, la Troupe Nationale ou les grands orchestres ? La liste est longue. Et cela avait été prédit par le Président Modibo Kéita qui n'a cessé de mettre le peuple Malien en garde contre le risque que courait la Nation de voir s'ouvrir chez nous le "Festival des brigands". Depuis que les putschistes du 19 novembre 1968 se sont précipités sur la scène politique, le patriotisme, l'abnégation, le désintéressement, le dévouement aux causes justes et toutes les valeurs fondatrices de la citoyenneté et du patrimoine culturel maliens, ont pris un sacré coup. Les putschistes ont voulu effacer de l'histoire du Mali, le Président Modibo Kéita et tous les patriotes. Eux qui ont osé refaire même les programmes d'enseignement pour faire en sorte que l'Histoire enseignée dans nos écoles commence, en dépit du bon sens, par la "Deuxième République" (décision prise en 1982 lorsque Sékou Ly était Ministre de l'Education Nationale). Ils pensaient ainsi avoir incinéré la lutte de libération et ses premiers fruits, l'indépendance nationale et la Première République ! Il faut reconnaître qu'ils ont réussi dans une certaine mesure, car beaucoup de choses ont été brûlées à des degrés divers. Aujourd'hui au Ghana, au Sénégal, en Tanzanie, en Afrique du Sud, en Angola, au Mozambique et ailleurs, les libérateurs de ces pays sont respectés, célébrés et connus du Monde extérieur. Alors que dans notre pays, l'image des nôtres reste brouillée et le Président Modibo Kéita toujours férocement et injustement combattu. Et les "brigands" continuent de festoyer et de narguer le Peuple. Ici le salaire des libérateurs et des patriotes reste ce que nous en avons dit. Mais qu'on ne s'y trompe guère. Le salaire que méritent "les libérateurs du Mali" ne se mesure, à notre avis, ni en numéraire ni en nature. Les actes patriotiques ne sont pas des marchandises. Ils ne se vendent pas, ils ne s'achètent pas, ils ne sont pas piratables. Ils appartiennent en propre à ceux qui les ont posés et se paient uniquement en valeurs impérissables. Monsieur le Président, s'il est humain de comprendre que tout enfant a l'impérieux devoir de défendre la mémoire de celui qui lui a donné le jour, il est irresponsable, inconvenant de s'y prendre sans esprit de discernement. Si mes accusateurs s'étaient tant soit peu informés sur le Président Modibo Kéita et les circonstances de son assassinat, sur tout ce qui en a été dit, sur Amadou Seydou Traoré, ils auraient certainement pris un autre chemin, soit sur inspiration personnelle, soit sur sages conseils de nombreux et vrais parents et amis de feu leur père, conformément à notre culture… à moins qu'ils ne soient manipulés. Et par qui ? Eux peuvent ignorer de quoi il s'agit avant d'agir comme ils l'ont fait. Mais depuis l'ouverture du procès, ils ne peuvent pas ne pas constater qu'ils ont soulevé une pierre pour se la laisser tomber sur les pieds. Tout le monde à Bougouni et partout au Mali, sait qui je suis : Amadou Garalo, Amadou P. A. I, Amadou Etoile Noire, Amadou Librairie Populaire, Amadou Djikoroni, Amadou RDA, Amadou Tichawchaw, Amadou Amagar, etc, autant de noms qui tous traduisent des luttes, des pages d'actions, des tranches de vie. IV CONCLUSION Monsieur le Président, à vous et à la Cour dont vous conduisez les débats, revient le privilège, l'honneur de débusquer, de démasquer et de condamner enfin ce Monsieur QUI, dont la responsabilité est recherchée dans tant de morts de civils et de militaires, de morts de jeunes et de vieux, d'hommes et de femmes ; ce monstre qui tue lâchement, férocement, nargue le peuple Malien et la Justice malienne depuis 42 ans. Monsieur le Président, l'histoire vous a choisi pour être celui qui fera éclater au grand jour la vérité tant attendue par notre peuple et par l'histoire, sur le lâche assassinat du Premier Président de la République, du Père de la Nation Malienne, lui aussi après 9 années de détention dans les conditions infra humaines, sans inculpation, sans jugement. C'est de cette vérité-là qu'il s'agit Monsieur le Président. L'honneur et le privilège que l'Histoire vous donne, Monsieur le Président, vous le partagez avec Monsieur le procureur de la République, lui qui a la lourde charge de protéger la paix sociale. Je suis convaincu que dans la mission historique que vous accomplissez, votre collaboration aboutira à des conclusions qui feront la fierté du peuple au nom duquel vous agissez. Pour terminer M. le président je plaide non coupable et sollicite qu'il vous plaise de faire comparaître et entendre publiquement les témoins cités. Et tous les témoins, sans exclusive aucune. Monsieur le Président, c'est pour vous aider en cela aussi pour éclairer la Cour qu'avec votre permission, je voudrais poser quelques questions à certains des témoins ici présents. Je vous en remercie d'avance M. le Président. Bamako, Mardi 11 janvier 2011 Amadou Seydou Traoré dit Amadou Djicoroni