La Tunisie, l’Egypte et Nous
Face à la situation qui prévaut dans certains pays arabes africains, des Maliens pensent que notre pays n'a rien à craindre. Ils mettent en avant la mollesse et l'ignorance de la jeunesse et surtout l'absence d’Homme.
Je rentre dans les débats en sursautant à cet argumentaire. Le Mali est un pays profond qui peut surprendre à tout moment ceux qui ne le connaissent pas. Il a mis 23 ans pour se débarrasser du général Moussa Traoré.
Je me situe à l'opposé de cette thèse, sachant qu'il règne au Mali la pagaille et tous les maux "démocraticides".
Avant la Tunisie, le Mali a connu le 26 Mars 1991, couronnement de deux décennies de lutte contre l'arbitraire, la misère, la déshumanisation, la corruption, le népotisme, le favoritisme, le clientélisme, le chômage...
La troisième république est née des cendres de la deuxième dans une euphorie de courte durée. L’Adema-Pasj s'empara des élections avec l'appui des anciens responsables du défunt Udpm qui ont vite fait de retourner leurs vestes. Ils tremblaient du" Ko ka Jè" à l'honneur dans les partis politiques qui prônaient le changement. Le 26 mars a-t-il survécu à la chute de Moussa Traoré ? Les idéaux démocratiques furent vite abandonnés pour les délices et le partage du pouvoir .Le mouvement démocratique est mort .Seuls Moussa Traoré et ses partisans sont restés soudés. Les deuxièmes élections démocratiques de 1997 furent calamiteuses et le président Alpha Oumar Konaré se présenta avec feu Mamadou dit Maribatourou Diaby devant le peuple malien.
Un rapport de la Banque mondiale fait mention de fonctionnaires milliardaires, le Mali fut englouti par tous les maux hérités de la deuxième république. La machine de déstabilisation écrasa tous les partis politiques, l'école est descendue plus bas et l'argent facile s'empara de la politique. Au lieu de cultiver le mérite, ce fut la médiocrité et le savoir fut assassiné. De gros diplômés n'ont pas résisté à l'ambiance et les belles initiatives ont tari.
Le Mali est terriblement malade. Après le "mouvement citoyen", c’est le tour du PDES de danser autour du Président ATT. Et l'Adema dans tout cela? Et le président Alpha dans tout cela? En tout cas il est difficile d'affirmer que le pouvoir a échappé à l'Adema depuis 2002. Il contrôle pratiquement toutes les institutions et les postes clés du gouvernement.
De toutes les façons en 2001 le président Alpha a déclaré haut et fort qu'il faut compter avec lui avant et après 2002, date de l'arrivée d'ATT au pouvoir. L'ombre de Moussa Traoré plane toujours sur le Mali. Ses partisans signent leur entrée fracassante dans les rouages de l'État.
La 3è république bat le record de l'impunité, de l'injustice et de tous les abus au Mali malgré le foisonnement des partis politiques (133) et des médias privés. En somme " le chien aboie et la caravane passe ".
Oui, la 3è république a construit beaucoup d'écoles, beaucoup de routes, des hôpitaux, des stades, de belles maisons mais elle a gaspillé et détourné autant sinon plus. Les rapports du vérificateur témoignent chaque année de ce cancer qui ronge sans cesse l'état !
Que dire du soulèvement contre le code de la famille en juillet 2009 ? Le pouvoir n'a eu son salut que dans une brillante volte-face .Un profond malaise ne mine-t-il pas la société malienne? L'envie d'un vrai changement est-elle forte ? Aujourd'hui le Mali est sur la cale. La politique politicienne, la propagande et le culte de la personnalité ont écrasé la volonté de résolution des problèmes de l'immense majorité des Maliens. Le coût de la vie, vertigineux depuis 2008, est aujourd'hui à son paroxysme avec le fameux problème ivoirien. Seuls les bénéficiaires d'argent facile, les tenants et les amis du pouvoir l'ignorent.
L'armée et l'enseignement demeurent les plus gros employeurs des chômeurs maliens. Depuis plusieurs années des milliers de diplômés du DEF battent le pavé, les années universitaires sont tronquées, des bacheliers ignorants crient leur triomphe et les enseignants crient à la honteuse discrimination dans l'octroi de primes faramineuses à d'autres fonctionnaires. Malgré le libéralisme sauvage, des monopoles d'importation de sucre et de riz sont accordés à certains commerçants. L’initiative riz a englouti en vain des milliards et des Maliens ont encore faim. Tout récemment, l'imposition de l'Assurance maladie obligatoire(AMO) fait grincer des dents chez beaucoup de salariés ! Les retenues sur les salaires ont commencé en octobre dernier et c'est maintenant qu'il est demandé des dossiers aux agents. Que cache cette précipitation à mettre la charrue avant les bœufs? Il semblerait que des émissions radiotélévisées sur l'AMO aient seulement commencé après le communiqué de presse de la CPM (Coalition Patriotique pour le Mali) du Professeur Dialla Konaté sur la question.
Le Mali est un pays d'Hommes qui a toujours paré à toutes les situations difficiles. Qui connaissait Oumar Mariko avant la naissance de l'AEEM en octobre 1990? Combien de gens connaissaient ATT avant le 26mars 1991? Soumana Sacko avant d’être ministre des finances en février 1987? Combien de Maliens connaissaient Ibrahim Boubacar Keita avant d'être président de l'Adema et Premier ministre en 1994?
Il est assez précoce de vouloir soustraire le Mali de la tempête qui souffle sur les pouvoirs arabes vieux de plusieurs années. La meilleure intelligence consistera à la devancer en amorçant de vrais changements attendus depuis mars 1991.
Lassana Namaké Keita